
L'écoute et les coûts
La société actuelle croit pouvoir faire l'économie d'une formation des citoyens à l'écoute, mais elle a tort.
Un parent n'écoute pas son enfant et il devient un adolescent à problèmes qui détruit des biens publics pour soulager sa rage de se sentir transparent aux yeux des autres. Un patron n'écoute pas les doléances des ouvriers et le taux d'absentéisme croît. Un médecin refuse d'écouter ce que dit le patient de ses symptômes, ceux-ci empirent et alors que l'on aurait pu stopper le développement de la pathologie aisément au départ, elle devient coûteuse, dangereuse et longue à prendre en charge. Un dentiste n'écoute pas son patient et soigne la dent à côté de celle où il avait mal. Un expert n'écoute pas ce qu'explique la victime d'un dégât des eaux alors il n'en identifie pas la cause réelle et deux ans après le même dégât se reproduit.
Cette liste d'exemples des coûts du manque d'écoute pourrait se prolonger sur des pages.
Le manque d'écoute coûte cher. Or le pays n'est plus assez puissant économiquement pour financer un tel gaspillage - par ailleurs également coûteux sur le plan écologique - . Il est donc plus que temps que chacun réfléchisse aux moyens d'y remédier.
Dans le passé, on apprenait à écouter à l'école (assez souvent à coups de règles sur les doigts malheureusement, il faut bien le dire). Il fallait, au moins, être silencieux quand le maître parlait. On était aussi sévèrement rabroué si la réponse qu'on lui faisait démontrait que l'on n'avait pas bien écouté le cours. Ensuite, au lycée, on apprenait à analyser un discours en profondeur en s'entraînant à rédiger des commentaires jaugeant en finesse du poids de chaque mot, mais aussi de chaque silence.
Aujourd'hui, on a simplifié l'exercice du commentaire littéraire et l'on n'en explique toujours pas la finalité. Les élèves prennent comme une limitation de leur liberté qu'on leur demande de faire silence pour écouter. Les professeurs, et les parents parfois, tentent de valoriser au maximum leurs prises de paroles, dans le but louable de les encourager à s'exprimer, mais ne se sentent plus légitimes pour les recadrer quand elles révèlent un manque d'écoute patent (ou de cohérence, d'ailleurs).
Hors des murs de l'école, chacun est pressé par le temps et travaille dans l'urgence, gérant désormais une vie numérique en plus de sa vie professionnelle, sociale et familiale, ce qui laisse peu de disponibilité pour se poser et écouter. Les publicités envahissent l'espace privé alors on apprend graduellement à ne plus les écouter puis le cerveau élargit son manque d'écoute à tout ce qui le dérange, y compris aux messages importants. Cette tendance est accentuée par le fait que tout "parle" en permanence : les GPS, les radios, les grands magasins, les participants aux débats télévisés, l'internet, certains amis. On finit par saturer. Toute une littérature de mauvaise qualité incite, en plus, à n'agir qu'en fonction de ses ressentis, ce qui encourage les comportements égocentriques ne tenant pas compte d'autrui.
Ce déficit d'écoute n'a pas qu'un coût économique, bien entendu il a un coût relationnel. Les couples se séparent. Les adolescents se sentent incompris (non, ce n'est pas inévitable !). Chacun se replie sur soi pour avoir été catalogué trop souvent et trop vite, avant même d'avoir été écouté.
Qui veut continuer ainsi ?
Ecouter est compliqué.
Cela ne nécessite pas juste de se taire, il faut aussi faire passer au second plan son monologue intérieur et ses préjugés pour s'ouvrir vraiment à ce que l'interlocuteur a à dire. Ensuite on reformule ou on questionne pour éventuellement mieux comprendre ce qui a été dit - ou passé sous silence, d'ailleurs - .
L'écoute n'est donc pas innée, elle s'apprend. C'est une richesse immatérielle dont le déficit a des conséquences directes sur le PIB et qui devrait donc, logiquement, être prise au sérieux, d'autant que les citoyens gagneraient également en qualité de vie si l'écoute attentive était revalorisée et transmise. L'école devrait pouvoir jouer un rôle mais on lui demande tant en lui donnant si peu de moyens qu'il faut peu en espérer à l'heure actuelle : compter sur des émissions télévisées ou des tutoriels en lignes est peut-être plus réaliste ? Les instituts de formation professionnelle et les entreprises pourraient également prendre en charge une partie de cette formation à l'écoute.
Envie
de participer à cette évolution vers un monde plus économique et
plus écologique car plus à l'écoute ? Il est possible de lire sur
le sujet, notamment les classiques livres de Carl Rogers. Les
personnes formées peuvent, quant à elles, organiser de petits
groupes de pratique conviviaux ou vendre leurs services en
entreprise. Chacun peut, en tout cas, communiquer sur l'importance de préserver cette ressource-là également.