Libéralisme et naïveté (une page)

La naïveté des personnes qui croient qu'une somme d'intérêts individuels juxtaposés peut faire un intérêt collectif me stupéfie. Un projet social ne peut se résumer ni à un "faites ce que je vous dis, dans mon intérêt personnel" (comme dans certains totalitarismes), ni à un "faites ce que vous voulez et tout le monde sera content". Il nécessite de se regrouper, de dialoguer, de définir un but qui ait du sens pour une majorité de citoyens, puis d'étudier les moyens d'y parvenir (malheureusement dans beaucoup de démocraties actuellement, le projet social se résume juste à panser des problèmes conjoncturels ou structuraux de manière sporadique et disjonctive...). Une somme d'intérêts individuels mène, quant à elle, juste à une somme de conflits et à un marchandage permanent.
Croire qu'une croissance infinie est possible dans un monde fini est également naïf. Un libéral était récemment tout fier d'avoir trouvé la parade à cette critique désormais commune : "oui, mais l'intelligence est infinie !". Or la bêtise l'est peut-être, mais l'intelligence semble, quant à elle, plutôt rare. Par ailleurs, comment compte-t-il la vendre ? C'est un peu difficile sans support matériel ou informatique, non ? Son grand projet est sans doute de rendre tout internet payant, puis ensuite aussi l'eau, l'air, le feu. Quelle place fait-il aux pauvres ? Il se satisfait sans doute de l'idée que les démunis soient aliénés dans un monde où
tout se vend car il les voit probablement, comme tant d'autres libéraux, comme des êtres inférieurs et indignes, comme
des sous-hommes, qu'il faut forcer à travailler pour leur bien. Quitte à les réduire à l'esclavage ? Si les pauvres ne sont jamais libéraux, c'est qu'ils savent, quant à eux, que la liberté visée par le système est uniquement réservée aux riches, à ceux qui peuvent acheter.
Le libéralisme est, par ailleurs, totalement irréaliste. Comme l'a écrit Fred Nebut, "le libéralisme porte en lui les conditions de son propre anéantissement car on ne peut libérer un système des règles et des contrôles qui permettent son existence". Beaucoup de libéraux sont, en fait, en faveur d'avoir le droit de faire ce qu'ils veulent au sein d'un système qui les protège sans les taxer. C'est une (pseudo-)logique d'enfant-gâté, pas d'homme mûr.
Enfin c'est également une forme d'angélisme hors-sol que de croire une libre concurrence possible, alors qu'il y aura
de toute évidence toujours des gens pour magouiller dans le dos des autres ou pour prendre davantage qu'autrui par l'usage de la force. Si le libéralisme est
diabolisé, c'est à cause de ces pratiques qui vont logiquement et systématiquement avec les logiques de
concurrence qu'il induit.
Des entreprises s'efforcent de signer des accords en sous-main avec
les gouvernements, ou entre elles, ou encore font du lobbying pour bénéficier d'avantages, puis leurs patrons vantent le libéralisme et la libre concurrence : de qui se moque-t-on ? Certains grands chefs d'entreprise cherchent même à bénéficier d'aides d'état, y compris aux Etats-Unis, et creusent ainsi largement la dette. S'ils sont contre l'intervention de l'Etat en direction des malades, des pauvres ou des enfants, quand il s'agit de toucher des subventions, pleurer auprès d'un "état nounou", comme ils l'appellent, ne les gênent pas. Ils revendiquent être libéraux, mais sont justes d'hypocrites opportunistes.
Je ne condamne pas le besoin de subventions d'entreprises, surtout envers les petites et moyennes entreprises ou envers celles qui s'efforcent d'avoir des pratiques environnementales saines, en revanche, tous ceux qui en bénéficient doivent honnêtement reconnaître l'absurdité qu'il y a défendre l'idéologie libérale, qui ne peut pas plus être mise en place de façon puriste que le communisme.
Pour fustiger l'Etat, les libéraux attirent les regards vers la flambée de la dette (qui n'est pourtant, en grande part, qu'une création d'argent nécessaire au système, ces gens sont-ils assez inconscients des mécanismes bancaires et financiers pour l'ignorer ?) ; ils l'imputent à la soi-disant inefficacité des fonctionnaires mais il suffit pourtant d'avoir un problème sur un produit pour découvrir l'inefficacité et l'incompétence qui règnent au sein de nombreuses entreprises dirigées par des patrons libéraux. En revanche, les professeurs, les infirmiers, les assistantes sociales ne comptent pas leur temps et leurs efforts pour satisfaire les usagers, au point qu'ils multiplient les burn out. Comment expliquer cette dichotomie, si les pratiques libérales sont si louables ? Où est le hic ?
Nous ne sommes pas sur terre juste pour servir de force de production, ni pour nous livrer une guerre économique, c'est un mythe. Les étoiles ont fourni les oligo-éléments qui nous permettent de vivre et elles pleureraient de rage, si elles le pouvaient, de voir que nous nous satisfaisons parfois d'utiliser leurs trésors pour nous transformer en machines-outils au service de producteurs, dont certains - pas tous, loin de là ! - sont juste cupides, naïfs et egocentrés.
Alors sortons de fantasmes obsolètes, la véritable réalité du monde, c'est que nous avons désormais (grâce aux machines, notamment) les moyens d'être bien nourris, éduqués et bien logés partout sur terre et la seule chose qui nous empêche d'avoir accès à une vie saine et émancipée, c'est que nous nous fantasmons en concurrence les uns avec les autres ce qui nous amène à dépenser des sommes mirobolantes en armement - y compris en France où la dépense militaire par habitant est parmi les plus élevées au monde https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_d%C3%A9penses_militaires. Tiens, c'est bizarre, les libéraux ne fustigent jamais cette dépense d'état là, ni même l'idée d'un état qui les défende, d'ailleurs... -
Sortons du modèle imposé auquel rien ne nous oblige plus d'adhérer, pour honorer le plus pleinement possible le court moment de notre présence sur terre.