Raison, émotion et progrès social
La
raison est ce qui unit les hommes ; les superstitions et l'attachement
à l'ego, ce qui les divise. Il n'y a donc pas de projet social
partagé et juste sans discussion rationnelle prenant en compte les
arguments des uns et des autres de manière dépassionnée -- seul moyen de
rester vraiment lucide -- .
La raison offre une vision claire, des moyens de communiquer habiles et une aptitude à effectuer des choix cohérents. La raison incite au partage, à la justice, à la correction relationnelle, ne serait-ce que parce qu'ils sont les meilleurs garants de la paix et donc de la sécurité à laquelle nous aspirons tous.
La mode est à discréditer le mental, vu comme père de tous
les maux, notamment dans certaines communautés qui préconisent
d'être "dans le coeur". L'explication à cela est que des attitudes cérébrales coupées
de toute intuition relationnelle ou de toute empathie sont effectivement
responsables de nombreuses décisions cruelles ou injustes. Cependant un froid calcul égoïste n'est pas à confondre avec une attitude raisonnable, qui implique de prendre en compte le plus grand nombre de paramètres possibles dans une décision, et donc notamment les implications de ses choix sur autrui.
Les affects, de leur côté, renseignent sur ce qui est bon pour soi ou pas et amènent à y réagir. La colère, notamment. Cependant ils sont très faciles à manipuler par autrui par un ton larmoyant, des images choc ou même juste un fond musical. Il faut avoir beaucoup travaillé sur soi pour identifier les tentatives d'emprise et les déjouer. Peu de gens en sont capables. Ils se laissent donc mener par leur mental émotionnel, ruminant ou s'embarquant dans des peurs et des
projections au gré des rencontres et des événements au lieu de revenir, périodiquement au moins, à des analyses cohérentes et
logiques.
Aujourd'hui ceux qui croient qu'ils ont le monopole de ce qui est
juste parce qu'ils sont "connectés à leurs émotions" se trompent. Avoir facilement la larme à l'oeil ou la colère
qui monte face à des vidéos d'influenceurs dont on ignore tout
(et notamment s'ils ne sont pas juste des acteurs rémunérés par
des lobbies...) est juste être naïf et manipulable. En
s'exprimant à tort et à travers, galvanisés par les émotions
qu'ils éprouvent, ils répandent des rumeurs parfois fausses. Demain, ils pourraient constituer une vague
déferlante qui emporte la démocratie juste parce qu'ils seront
tombés sous le coup d'une manipulation affective de plus, une juste
un peu plus lourde de conséquences que celles déjà subies.
Les révolutionnaires vindicatifs ont fait reculer les droits de l'homme.
Ce sont les rationalistes éclairés (Voltaire, Diderot and Co) qui les ont fait avancer.
Avant de descendre dans la rue ou de voter, il n'est donc pas
inutile de se rappeler que suivre ses émotions comme si elles
guidaient infailliblement vers une vérité absolue est une attitude
délirante basée sur une surévaluation de l'ego. Quant à suivre l'émotion des autres et la laisser prendre le contrôle sur soi, c'est s'y vassaliser - généralement par soif inconsciente de partager une intimité dont on est tristement privé dans sa vie personnelle - .