Priorités
Il y a quelques années, nous nous réunissions fréquemment entre amis, avec certains presque toutes les semaines, et d'autres organisaient de grandes fêtes qui réunissaient plus de cent personnes. Puis cela s'est arrêté, mais nous nous voyions encore régulièrement et nous nous croisions systématiquement en ville lorsqu'il y avait des festivités. Au fil du temps, je n'y ai plus rencontré personne de ma connaissance et nous avons commencé à devoir prendre RV, parfois deux mois à l'avance, pour nous voir entre copains. Aujourd'hui on en est au stade où je n'ose même plus en appeler certains car je les sais si débordés que j'ai peur de les déranger. Avec les autres, on prend rendez-vous par email pour trouver quand s'appeler. Il y a dix ans, personne n'aurait laissé un email sans réponse dans la journée ou le lendemain, aujourd'hui je suis la première à parfois mettre des semaines à y répondre.
Par ailleurs, j'ai été élevée par mes parents,
jouant dans la boutique de ma mère en rentrant de l'école, comme tous
les copains du village et comme ma copine fille d'agriculteurs. Déjà à
l'époque ce n'était pas le cas de tout le monde, mais maintenant combien
d'enfants et d'adolescents sont laissés à des garderies ou à eux-mêmes parce que les parents rentrent après 21h, la nouvelle heure de clôture des magasins, ou qu'ils travaillent de nuit ou sont régulièrement en mission trop loin de chez eux pour rentrer? En étant absent, on ne peut les élever et en sacrifiant leur éducation, on sacrifie leur instruction, parce que les enfants abandonnés sont intenables en classe où ils cherchent désespérément
l'attention d'un adulte, au moins. Or en sacrifiant l'instruction, on
sacrifie l'avenir du pays. Nous ne serons donc bientôt plus bons qu'à
devenir les esclaves des Chinois et des Coréens, qui eux valorisent
l'instruction fortement...
Les trois-quart des gens que j'aime le plus,
altruistes, intelligents, sensibles, sont malades, surmenés ou vont mal.
Ce sont des personnes pleines de talent et d'envies frustrées et quand je pense à tout ce que nous aurions pu co-créer ensemble ou aux excellents moments que nous aurions pu passer, j'ai l'impression d'un immense gâchis de vies, de joie, de possibilités.
Jusqu'où laisserons-nous une société uniquement axée sur le productivisme et la création de capital nous détruire? Jusqu'où accepterons-nous d'être juste des outils de production rentables? Jusqu'où accepterons-nous un système boursier aliénant parce qu'il ruine les masses périodiquement au profit d'une minorité?
Même si nous sommes épuisés, nous devons nous battre pour éviter d'être paupérisés et broyés davantage.