Religion, pouvoir et têtes coupées

Il y a environ deux cent pays au monde et, en dehors des pays communistes, il n'y en a qu'un où les religieux ont été décapités par centaines, non dans le but d'instaurer un nouvel ordre religieux, comme cela s'est largement fait ailleurs, mais par volonté de se débarrasser de l'emprise religieuse sur le pouvoir politique et économique : la France.

Alors pourquoi des gens choisissent-ils aujourd'hui notre pays pour y manifester ostensiblement leur religion et tenter de l'imposer par la terreur ? Ignorent-ils l'histoire ? Comment peuvent-ils imaginer un instant que des Français vont laisser passer un groupe religieux qui a une velléité d'accès au pouvoir politique affirmée ?

La France n'est pas le bon endroit pour cela.

Et j'aurais tendance à penser qu'aucun pays n'est le bon endroit, mais chaque peuple a son libre-arbitre.

Caricature

Que la religion musulmane refuse que le prophète et Allah soit représentés est très spirituel, notamment dans la mesure où cela invite à être au-delà du culte de la personnalité et à prier une entité abstraite, donc au-delà de tout. Par comparaison, la façon chrétienne de se représenter Dieu comme un vieil homme barbu est très limitante et presque puérile. Dieu pourrait aussi bien être roux, noir, jeune ou handicapé. Les paroles : "Dieu est à l'image de l'homme" ont été interprétées de façon réductrice dans l'iconographie traditionnelle et ce n'est pas sans conséquences profondes. On peut donc tout à fait comprendre la volonté des musulmans d'une absence de représentation de leur prophète ou d'Allah dans le cadre de leur pratique.

Cela ne les autorise, bien entendu, pas à interdire une caricature, alors que le but de ce type de dessin n'a jamais été de représenter la réalité mais de faire réfléchir.

Si un journal avait titré : "Regardez à quoi le prophète ressemble" ou "Voici un dessin du prophète", en effet, il y aurait eu provocation, blessante et malvenue, mais là-encore elle aurait été acceptable dans un pays laïque et n'aurait pas davantage mérité d'être vue comme une déclaration de guerre. Elle aurait, en revanche, pu donner lieu à des explications de la part de la communauté musulmane sur le sens du refus de représenter son prophète et ainsi elle aurait été l'occasion d'éduquer les Français et de les faire réfléchir, dans une relation gagnant-gagnant.

Religion, légitimité et pouvoir

Quelle que soit la respectabilité de certaines pratiques religieuses, elles n'ont pas à être imposées à tous car imposer de faire quelque chose qui n'est pas compris n'éduque pas et s'avère donc inutile, voire contre-productif.

De plus, les incohérences internes dans les textes fondateurs des enseignements religieux, leurs divergences partielles, quand il y a plusieurs sources, les différences d'interprétation que l'on peut en faire et l'évolution des pratiques à travers le temps témoignent qu'aucune religion n'est pure et que chacune passe, et est passée, par des filtres humains, plus ou moins épais et sains. Vouloir imposer sa religion aux autres revient donc à vouloir imposer sa subjectivité, ce qui ne sera jamais acceptable et n'a aucun sens sur le plan spirituel.

Pour une spiritualité laïque

Cela dit, il est tout à fait sain, en revanche, de vouloir donner un objectif spirituel à la société. Si nous sommes à deux doigts de l'auto-destruction, c'est justement pour avoir sombré dans un matérialisme aveugle.

Le non-respect des ressources, les violences, le sexe sur les écrans (visible par des enfants), la pratique généralisée de l'usure et la cupidité - qui interfère avec les relations interpersonnelles jusqu'à engendrer des situations d'esclavage - , font de nous des êtres dépravés qui sommes en train de nous anéantir et qui restons bras ballants, sans même réussir à freiner la tendance.

Si quelques islamistes sont écervelés par des pratiques manipulatoires visant à les instrumentaliser ou assoiffés de vengeance et de sang, beaucoup sont conscients que la spiritualité est la solution - le bien n'est jamais d'un seul côté - . Ils voient l'horreur du monde matérialiste et veulent sincèrement améliorer la vie de chacun. Malheureusement une vision qui n'est pas nourrie par des années de pratique spirituelle leur fait mal appliquer des textes incompris dans leur profondeur, ce qui les détourne de leur but louable.

La véritable parade à leur islamisme violent, inhumain, fourvoyé est de re-spiritualiser nos sociétés, car ils ont raison : nous faisons fausse route.

Pour redresser la barre, nous ne pouvons avoir recours aux religions, qui ont fait trop de morts au fil des siècles et qui s'opposeront éternellement, mais nous devons déterminer des valeurs spirituelles, laïques et universelles, capables d'offrir des repères clairs quand des choix scientifiques, technologiques, sociaux, politiques ou économiques doivent être faits.

Ces valeurs pourraient être de préserver le vivant, y compris sous la forme humaine, et de lui permettre d'aller de mieux en mieux et de progresser en conscience, ce qui implique de nombreuses formes de liberté. Tous les humains, me semble-t-il, pourraient se mettre d'accord sur ces principes vivifères (que je décline plus en détail dans un livre en cours).

Parlons-en.

Le monde ne changera pas assez vite sans l'impulsion proactive de chacun et une écologie véritable a besoin du soubassement d'une spiritualité laïque, à définir ensemble.