
Un bien pour un mal
J'ai toujours été fascinée par les répercussions positives des pires événements, sans doute parce que me focaliser dessus m'aide à les supporter.
Un des seuls contes que j'aime est celui de ces paysans chinois qui avaient eu un fils. Les villageois les avaient félicités : "quelle chance, un fils !" mais ils avaient répondu : "on verra, on verra". Parce que c'était un garçon, il montait à cheval, mais un jour il était tombé et il fut ensuite handicapé. Les villageois étaient consternés : "quelle malchance alors !" mais les parents avaient répondu : "on verra, on verra". La guerre survint : le garçon fut le seul jeune du village rescapé car son handicap l'en avait préservé. Les villageois dirent : "quelle chance !" mais le couple répondit : "on verra, on verra". Etc...
La tragique guerre contre l'Ukraine, ce drame qui semble d'un autre temps, n'est pas sans effets positifs. Pour la première fois, la question énergétique est prise véritablement au sérieux alors que les alertes des scientifiques sur l'écologie ne réussissaient qu'à déclencher des mesurettes. Chaque pays est pour la seconde fois en peu de temps amener à réfléchir à
relocaliser et à diversifier ses sources d'approvisionnement.
Les fortunes des oligarques russes, pour la plupart liés à la mafia, subissent des pertes considérables. On ne va pas se mentir, les effets négatifs sont immensément loin d'être contrebalancés par les effets positifs, mais mieux vaut se focaliser dessus qu'en venir à se réfugier dans le déni dans le but désespéré de tenter de supporter l'insupportable.
Voilà, par ailleurs, ce que j'écrivais sur le Covid en mars 2020.
Le Covid va tuer des milliers de personnes et les personnels de santé, de l'hygiène et les vendeurs de supermarchés paient un lourd tribut, mais en même temps, le ralentissement et le repli qu'il impose permettent de façon spectaculaire de corriger de nombreuses failles de notre organisation socio-économique.
Les pêcheurs ne trouvant plus de débouchés depuis que les restaurants sont fermés pensent arrêter de pêcher dès la semaine prochaine ce qui est justement un mal nécessaire pour reconstituer un tant soit peu la faune marine.
Nous ne prenions plus le temps de nous appeler au téléphone, du fait du stress au travail, de notre vie numérique qui prend du temps et parce que notre nombre d'amis s'était élargi avec les réseaux, là nous redécouvrons le téléphone et le temps (pour certains) de papoter.
La pollution atmosphérique diminue avec le télétravail généralisé et parce que nous ne produisons plus que ce qui est strictement nécessaire. Et si cela devenait une habitude?
Nous
découvrons qu'utiliser des camions pour transporter nos denrées met
beaucoup de conducteurs sur les routes, ce qui maximise le risque de
propagation des virus, et nous commençons à réfléchir à les déplacer en
train.
Au lieu d'acheter, nous nous formons sur internet ou en lisant et l'on suit des cours de sport ou de relaxation en ligne, ce qui contribue à notre bien-être et à faire de nous une population plus éveillée et donc plus performante.
Nous ré-apprenons qu'il est plus facile de survivre à la campagne qu'en ville, alors peut-être cesserons-nous de voir comme imparable la tentacularisation de villes. Tout le monde perd à ce que les campagnes se désertifient et que les villes enflent, il est temps d'inverser la tendance grâce au télétravail.
Nous ne recevons plus ces appels commerciaux dérangeants qui constituaient un harcèlement et non un service.
Une
correction va s'opérer entre les prix des marchandises, qui finissaient
par être presque vendues à perte pour certaines, faute d'acheteurs, et
les prix de l'immobilier. Alors que la production croissait plus vite
que la demande, tendance accentuée par l'avènement de la récup', c'est
une aubaine pour l'industrie que les chaînes soient stoppées. La
consommation sera boostée ensuite par ces deux ou trois mois d'arrêt de
la production, et les prix pourront reprendre une tendance haussière.
Pour
une fois, les gouvernements injectent de l'argent directement dans les
poches des travailleurs et pas dans celles des banques. Lorsque l'on
sortira de la quarantaine, les prix pourront donc croître à nouveau, les
entreprises engranger des bénéfices et les investisseurs placer leur
argent dedans au lieu de continuer à mettre la main sur l'immobilier et
de faire flamber les prix. Je ne pensais pas qu'une révolution vers des
lendemains qui chantent prendrait la forme d'une quarantaine. C'est
nettement mieux que des émeutes réprimées dans le sang ! - Espérons
qu'après l'épidémie, de savants économistes déduiront que plutôt que
nous arrêter régulièrement de produire pendant deux ou trois mois, le
temps de travail doit être abaissé drastiquement pour maintenir une
tension suffisante entre l'offre et la demande et limiter le saccage des
ressources.
L'école à distance se met en place : des cours gratuits à la télévision et sur internet. Or ce système permettrait, s'il perdure, que chaque enfant puisse apprendre à son rythme et privilégier les matières qui l'intéressent le plus. On mettrait donc enfin en place un modèle du type "Libres enfants de Summerhill". Le matin les jeunes pourraient travailler, à leur rythme, à la maison ou dans les écoles, en autonomie sur ordinateur avec des professeurs à disposition pour les aider à leur demande. L'après-midi, des groupes s'organiseraient pour la pratique du sport, de la danse seul ou à deux, d'ateliers réparation, communication, respect de soi et d'autrui, art-thérapie, découverte de soi, méditation, jardinage, cuisine, couture, mécanique, informatique, musique, etc... Des après-midi festives seraient organisées une fois par mois par les élèves eux-mêmes. Ce système permettrait à chaque enfant d'être respecté dans ses rythmes et favoriserait les comportements autonomes. Les élèves brillants cesseraient de s'ennuyer en classe et pourraient exprimer leur plein potentiel intellectuel, tout en restant intégré à des groupes d'élèves de leur âge. Ce système serait également bien plus économique que celui mis en place actuellement.
Dans mon livre Une Utopie Réaliste, j'envisageais toutes ces évolutions mais au vu l'urgence environnementale, je désespérais de voir tout cela se mettre en place assez vite. Jamais je n'aurais rêvé que cela puisse ne prendre que quelques jours !"
Dans le zen, il est dit que tout est changement et on conseille de ne pas y résister.